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Chapitre 4

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     Il y a une myriade de divinités vénérées dans les Landes et partout ailleurs dans le monde, le premier est Siratil, le Bouc Rouge ou l’Absolu, il créa l’univers en un souffle. Puis vinrent les jumeaux Milla et Omil, déesse de la nuit et de la mort et dieu du jour et du commencement. Il y a ensuite plusieurs dieux secondaires, Larren, Galimée, et bien d’autres… Chacun des six mois de l’année porte le nom d’un dieu tertiaire : Nilfesis, Hablasis et Ulkisis pour la saison chaude et Kaldasos, Filassos et Poursos pour la saison froide. Chaque Dieu est plus-ou-moins vénéré selon la région, Baschile, par exemple est la déesse des Ovides. Raee est le maître de l’Outremonde, il fut bannis dans les profondeurs de la dimension des chimères, créatures qu’il créa afin de faire tomber les autres dieux et déesses.

     Quelque chose vous attire dans cet endroit, peut-être l’atmosphère sauvage d’un côté mais terriblement calme et sereine de l’autre. La saison chaude approche lentement vers sa fin, les chants des oiseaux jusqu’ici inconnus disparaissent lentement et les feuillages prennent de jour en jour un peu plus cette teinte ocre-orangée. Dans une dizaine de jours, Ulkisis laissera sa place à Kaldasos, le premier mois de la saison froide.

Vous avancez sur les planches du pont principal, vous avez fait vos provisions pour les trois prochains jours, le petit campement s’est avéré assez agréable, le foyer pour le feu s’est bien encré dans la terre de la plateforme. A force, vous connaissez par coeur la route à prendre pour y retourner, comme une routine. Vos pieds font, comme à chaque fois, grincer le plancher du ponton qui mène jusqu’à l’arbre vous servant de toit.

Vous laissez s’échapper un petit cri de sursaut, l’étranger qui se trouve appuyé contre le tronc de l’arbre vous fixe :

« – Merlin ?!  la surprise se lirait sur votre visage à des lieues.

– Salut, mon vieux ! Alors, ça fait quoi… six jours ? Lâche-t-il sans pression, aucune.

– Euh… oui, je crois bien. Que faites-vous ici ? Vous m’avez suivi ?

– Je suis venu te chercher par Galimée ! Allons, tu as déjà assez traîné ici, on bouge. Prépare tes affaires, on a de la route à faire et j’ai pas envie, mais alors pas du tout, de marcher de nuit. »

En prenant votre meilleur air sarcastique. « Mais bien sûr ! Je n’ai que ça à faire de suivre un inconnu en direction de je-ne-sais-où alors que j’avais bien l’intention de quitter ce pays de malheur et de rentrer chez moi ! C’est fort aimable de votre part, mais pour moi, ça s’arrête là. »

Merlin se relève, il pose ses mains sur les hanches, soupire, passe devant vous et s’engage sur le ponton.

« – C’est ta dernière chance de remplir ta mission, et tu le sais aussi bien que moi, tu sais ce qu’il va se passer pour toi si tu ne vas pas jusqu’à Lousonna… A qui dois-tu apporter cette épée ?

– Comment osez-vous fouiller mes affaires ?! Vous vous précipitez sur la charrette pour vérifier qu’il n’ait rien prit. heureusement, tout est là…

– Et en plus, vous avez lu la lettre, vous n’avez vraiment aucun scrupule vous !

– A toi de répondre ma question maintenant, tu me suis ?

– Mais où à la fin ?!

– Mais Lousonna voyons, c’est là tout l’intérêt ! Tout se passe là-bas !

vous faites une pause, soupirez,

– Très bien… de toute façon, ça ne me servirait à rien de rentrer pour me faire bannir de chez-moi aussitôt, attendez deux minutes. »

 

***

 

C’est sur le sentier, sous les arbres et longeant la rivière que la discussion reprend.

« – Bon, on est déjà à une dizaine de lieues de Tigris, vous allez enfin me dire qui vous êtes ? lâchez-vous enfin en brisant ce long silence. – Mais je te l’ai déjà dis, mon nom est Merlin. il sourit, comme satisfait d’une bonne blague…

– Moi c’est Seylan, Seylan Reise. A votre tour maintenant. il vous regarde avec un regard mécontent. – Dis-toi que ce sera bien mieux pour toi de garder ce que je t’ai donné comme nom, un nom c’est précieux, ne le donne pas à n’importe-qui. »

Le silence reprit de plus belle. Le voyage ne dura qu’une journée, les rayons de soleil transperçaient les feuilles et faisaient briller l’eau froide. Vous n’avez croisé personne durant tout le long du trajet, étrange d’ailleurs. Vous êtes assis sur la banquette. Merlin ayant refusé votre invitation à faire de même marchait à côté, sans perdre le rythme cadencé de Stewball. « – J’aurai pensé qu’il y aurait plus de monde sur la route avec l’enterrement royal, peut-être que nous serons les derniers à arriver ? » disait-il sur un ton suspicieux.

 

***

 

Vous arrivez en vue de Lousonna, ou presque. Ce que vous apercevez, perché sur une colline derrière la muraille et la porte bloquant l’entrée dans la vallée, c’est le fier château de Montbenon. Deux immenses tours, l’une très large et massive cachant une partie de l’autre, plus fine et plus grande. Elles sont bâties de grandes pierres taillées et empilées pour ne former plus que deux titanesques bâtiments collés l’un-à-l’autre. La structure rigide et froide dégage une impression d’immobile, d’invincible. Une route s’enroule autour du monticule et relie la grande porte du château à la ville que l’on devine cachée par la montagne de gauche. Le fleuve entre dans la muraille et ressort de l’autre côté et passe par le nord. Vous arrivez tout les trois devant la lourde porte en bois gardée par deux hommes à pied armés de lances et portant sur le plastron le sceau de la famille royale. Une représentation du château simplifiée se peignait en blanc sur fond vert. Une petite tour prenait pied entre la route et la rivière après la paroi en pierres. Les deux hommes ne sont pas réticents à vous laisser passer, vous entrez donc dans Lousonna, la capitale des Landes de Montbenon !

Quelques temps sont encore nécessaires afin de pouvoir apercevoir pleinement la ville se dérouler sous vos yeux. Un vent d’abondance vous chatouille le nez, les effluves de nourriture, l’odeur des cheminées crachant leur fumée grise dans le ciel du soir qui vous semble étrangement bas, sûrement à cause des deux chaînes de montagnes qui forment cette vallée si vivante. Si vivante mais qui se couche à la disparition du soleil en haut des cimes des monts agglomérés là, au bords de la cité. Vous vous retrouvés perchez sur une grande terrasse surplombant Lousonna, à votre gauche descend un chemin pavé en direction de la grand-place. Vous contemplez ce paysage idyllique encore quelques instants avant de descendre. Merlin vous conduit vers une petite maison adjacente à la rue principale. Le panneau indique « Taverne du rat veilleur ». Vous attachez Stewball dans l’écurie miteuse d’à côté et y laissez aussi la charrette et son matériel.

Personne à l’intérieur. Merlin se dirige tout droit vers le comptoir et appelle d’une voix forte

« – Hey, Quokka ! Tu as de la visite ! vous entendez un petit grognement provenant de la salle derrière le bar, – J’arrive, j’arrive... » et c’est le pas lourd et fatigué que se traîne une petite fille jusqu’aux nouveaux arrivants. Elle grimpe sur le tabouret lui servant de marche afin de pouvoir communiquer avec les clients. Elle a l’air surprise, « – Merlin ? Ça fait un an que t’es pas revenu revoir papa et maman ! Mauvais client, ça. lâche-t-elle en souriant. La fille ne devait pas avoir plus de dix ans, une longue chevelure bouclée rousse dans le dos et une robe blanche avec des plantes vertes et jaunes brodées dessus.

– Oui, tu m’excuseras auprès d’eux, je repasserai dans la journée demain, promis… mais en attendant, vous n’auriez pas une chambre de libre pour deux dans cette vieille bicoque ? Elle semble se vexer, fait une moue indescriptible et reprend, – Oui, oui, on a ça. elle tourne finalement son regard sur vous, sévère, elle vous examine de haut en bas, toujours avec sa moue suspicieuse de quelque personne malintentionnée.

– C’est la même que d’habitude mais en face, comme vous êtes deux… »

Vous montez l’étroit escalier en bois, chaque marche vous paraît plus aiguë et risquée que la précédente. La chambre n’est guère mieux, deux lits posés dans les coins pour seuls meubles, le plancher craque sous chacun de vos pas, les murs nus et gelés ne dégage rien à part une ambiance de prison. Vous vous rassurez en vous disant que c’est sûrement mieux que de dormir dehors après tout.

« – D’où est-ce que vous connaissez la famille qui vit ici ?

– C’est des amis à moi, je leur dois beaucoup, ils m’ont énormément aidé il y a longtemps alors je leur rends de petits services çà et là… Mais j’ai eu un petit contretemps cette dernière année, je les reverrai demain matin. il sourit dans sa barbe. – Enfin, je vais me coucher, je vais avoir à faire toute la journée, demain. » Vous acquiescez, vous avez aussi sommeil. Vous jetez votre sacoche et vos chaussures au pied du lit et vous emmitouflez dans l’épaisse couverture. Vos pieds continuent de vous faire souffrir après cette exténuante et interminable journée de marche. Ça ira probablement mieux demain.

 

***

 

Non, vous vous sentez boiter légèrement sur la gauche en vous levant. Vous soupirez un coup, ramassez vos affaires et ouvrez la porte. Le vieux est bien sûr déjà parti avant votre réveil… Personne en bas, vous êtes seul dans la taverne, un bout de pain avec une note repose sur le comptoir,

« Salutation Seylan, j’ai beaucoup à faire en ville alors j’ai préféré partir à l’aurore, nous nous retrouverons ce soir ici, ou à la sépulture du roi cet après-midi. Elle aura lieu sur la grand-place, l’heure te sera bien indiquée par les cloches, ne t’en fais pas. Passe une bonne journée,

l’ami Merlin. »

 

« – Ami ? Je ne connais même pas ton vrai nom, par Gilem! » vous enfoncez le papier dans votre sacoche et enfournez le pain dans votre bouche. C’est un pain mou, sans réel goût, vous déglutissez avec peine au vu de la quantité ridiculement grosse que vous avez voulu avaler… vous sortez par l’avant du bâtiment qui donne directement sur une rue assez dégagée avec peu de monde. Le soleil n’est pas encore très haut, vous avez donc le temps de régler l’affaire pour laquelle vous avez fait tout ce voyage. Vous retournez dans l’écurie, vers Stewball et la charrette. Vous enlevez quelques attaches de la bâche en tissus pour pouvoir récupérer l’épée emballée et la lettre. Le cadeau est empaqueté dans une peau raffinée de très bonne facture, même la ficelle qui tient l’emballage en place semble n’appartenir en aucun cas à un objet que quelqu’un posséderait dans votre village natale. Au dos de la lettre se trouve l’adresse et un plan simplifié du centre-ville partant depuis, comme tout à Lousonna vous semble-t-il, de la grand-place. La route en petites dalles irrégulières sillonne entre les échoppes à l’envolée et les maisons au murs de toutes les couleurs. Les passants ne semblent même pas vous voir quand vous remontez la rue en direction de votre point-de-départ.

Ce n’est qu’une heure plus tard que vous atteignez enfin la devanture du magasin recherché, fatigué d’avoir couru tout du long, vous profitez d’un petit moment pour reprendre votre souffle et examiner la façade du bâtiment vers lequel vous avez été envoyé depuis chez vous, si loin…

L’échoppe porte fièrement son panneau en bois richement décoré de fioritures, fraîchement verni, les lettres dorées finement sculptées indiquent « Antiquaire ». Vous entrez, une clochette retentit lorsque vous entrebâillez la porte. A l’intérieur, une odeur de vieux cuir et de bois vous envahi. Des bibliothèques sur chaque mur remplies de livres venant de tout les horizons du monde et de toutes les époques. Il y a plusieurs tables sur lesquelles traînent toutes sortes d’objets et de reliques anciennes. Une tête empaillée d’un animal pour le moins étrange accrochée sur le mur d’en face vous fixe. Il n’y a plus un bruit venant de la rue, cet endroit est comme coupé du monde extérieur, le calme absolu…

« – Bienvenue jeune homme ! Que puis-je faire pour vous ? un homme sort d’une porte au fond de la pièce.

– Bonjour, excusez-moi mais, vous êtes Zakari Otso ? il semble surpris que quelqu’un connaisse son nom.

– Et bien… oui, c’est bien moi mais qui êtes-vous ?

– Seylan Reise Monsieur, j’ai un colis pour vous de la part de mon père…

– Reise ? Le Reise ? Vous êtes son fils ? il rit un moment et vous dévisage en souriant, l’air lointain.

– Le bougre a eut un fils ? C’est l’épée que tu ramène j’imagine, comment va-t-il ?

– Oui, je l’ai ici. – vous sortez le tissus de votre sac – Je pense, ça fait déjà quelques temps que je suis parti, alors je ne saurais rien vous dire de précis mais aux dernières nouvelles, il se porte bien.

– Très bien, très bien. Pose-la seulement là. » il vous désigne la table devant vous. L’homme porte un épais collant et une veste bouffante, tous deux bruns, de très bonne qualité. Il a un petit bouc noir sur le menton et les cheveux courts.

Il fit une pause dans ses gestes et se mit à regarder un petit bibelot sur le bureau à côté de lui.

« – Ton père était un de mes chers ennemis de guerre. Un jour il avait été capturé par mon escouade, je n’avais rien contre nos adversaires, il n’étaient que de simples soldats, comme moi, et je haïssais mon supérieur. On a vite sympathisé, lui et moi, je gardais les otages. Alors je les ai délivré une nuit et lui ai donné mon épée pour se défendre en chemin. Je suis vraiment heureux qu’il soit sain et sauf… »

En se retournant pour prendre quelque chose sur une étagère, vous apercevez distinctement sa nuque à nu. Elle est marquée de ce qui vous semblent être des cicatrices, de coup de fouets peut-être.

Vous ne restez pas bien longtemps, Zakari a reçu un autre client et n’était plus très disponible pour la discussion. Mais après vous avoir grandement remercié, il vous a proposé de revenir le lendemain pour discuter, il aura plus de temps à vous accorder.

En sortant de chez l’antiquaire, la lumière vous frappe au visage, vous avez besoin d’un petit moment pour vous y habituer. Vous commencez à déambuler en regardant les petites échoppes des deux côtés de la rue quand résonne un bruit sourd et puissant qui vous fait vriller les tympans. Ce sont les cloches qui se sont mises à sonner l’heure du cortège funéraire. Le bruit vous perce la tête comme une flèche, vous tentez de mettre vos mains sur les oreilles, comme tout le monde, mais rien n’y fait… vous vous dirigez donc rapidement vers la grand-place.

En arrivant à proximité de l’endroit, la foule bloque déjà le passage, des centaines et centaines de gens se sont réunis afin de donner un adieu au Roi qui avait trépassé. La cérémonie est composée d’un char magnifiquement sculpté et peint d’un noir profond, les six chevaux tirant l’attirail avancent lentement devant la falaise qui monte jusqu’au Château de Montbenon. Tout le monde baisse lentement la tête en signe de tristesse et d’adieu, vous faites de même. Tout d’un coup, la foule se met à clamer, « – Vive la reine Sapajou ! Vive la reine ! » la reine et le Bras-droit Goupil sont apparus sur le grand balcon, à une centaine de mètres du sol, dominant la foule. La voix de la nouvelle reine retentit dans votre tête et celles de toutes les autres personnes dans la ville, « – Salutation cher peuple, cher Lousonna et merci. Merci infiniment d’être présents en ce funeste jour afin de donner à notre bien-aimé roi, le Roi Otarie, l’adieu qu’il mérite... C’est une bien triste période pour nous tous, nous avons perdu notre cher souverain et la ville de Wallce aux mains de ces Ovides, créatures immondes en quête de sang perpétuelle… Nous allons te venger, cher père, nous exterminerons cette vermine qui menasse notre magnifique peuple tout entier ! Chers citoyens, reprenons Wallce ! » la foule pousse un cris d’acclamations qui ferait pâlir une armée devant l’ennemi, tous ont une haine dans les yeux, ils ne veulent qu’une chose, la fin de cette guerre, par la victoire…

« … Et c’est dans ce but, que le conseil royal a décrété ce matin-même ; que chaque homme entre dix-huit et trente-cinq ans se voit prié de venir dès demain, s’enregistrer auprès de la garde afin de s’enrôler pour cette ultime bataille ! » les applaudissements semblent amoindris, nombreux sont ceux qui se tournent vers leurs congénères avec un visage apeuré.

« Les portes de la ville seront fermées ! Les fuyards seront punis ! »

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