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Chapitre 6

Vers le sud, le Canal du départ s’étendait derrière la ligne d’horizon, délimité à l’est et à l’ouest par les hauts pics, puis les vertes collines encore habitées d’une nature tenace. Un regard vers le nord donnait une vue imprenable sur Lousonna et le château de Montbenon qui siégeait là, comme une couronne au sommet de la plus grande cité des Landes.

Baignés dans les lueurs du soir, Seylan et son acolyte, que toute le régiment, appelait inlassablement "le Niais", se tenaient postés en haut de la tour de guet de l’Ancienne Caserne. En contre-bas de la forteresse réaménagée, le Port-Austral et ses milliers de fourmis grouillantes, débordait de vie, de mouvements et de bruits étourdissants.

Des troupes en provenance des villes de Squal et Moussa avaient commencé à débarquer progressivement dans la capitale, le vieux fort se remplissait au fur-et-à-mesure que le jour de l’assaut sur Wallce se rapprochait. La ville ayant perdu une immense partie de son armée le jour de la mort de l’ancien roi Otarie I, le Château de Montbenon avait réquisitionné les troupes des villes alliées, obligées de coopérer devant la reine Sapajou. Personne n’affichait de visage heureux, à part le nouvel ami de Seylan, évidemment, le sourire aussi immuable qu’affable du Niais le rendait parfois perplexe.

Comment Seylan aurait-il pu sourire ainsi durant ces dernières semaines ? Cet entraînement condensé à la caserne avait été une vraie torture, combat à l’épée, maîtrise du code morse, survivalisme, nœuds, soins légers, et tout un tas de choses potentiellement utiles... mais il en doutait. Il rêvait de revoir le coucher de soleil sur les montagnes Céliannines depuis le nord, depuis son village natal.

Qu’était-il arrivé à ses parents ?

Allaient-ils encore bien ?

Rester dans l’inconnu le terrifiait, il n’avait plus goût à grand-chose mais paradoxalement, les entraînements à l’épée étaient les seuls moments où il se permettait de se défouler un peu. Il avait fait d’impres-sionnants progrès, il avait même réussit une fois à désarmer son camarade qui surpassait pourtant de beaucoup des nouvelles recrues. Par contre ses qualités d’archer stagnantes avaient fini de le convaincre que cette arme n’était pas faite pour lui.

- On part quand déjà ? lâcha Seylan.

- Dans une semaine, ou quelque-chose comme ça. T’es pressé ?

- De partir d’ici tu veux dire ? Je vendrais tout ce que j’ai pour pouvoir rentrer chez moi.

Le Niais se pinça les lèvres en un rictus d’enfant qui sait qu’il va se faire gronder.

- Si tu vendais ce qu’il te reste tu veux dire, tu pourrais peut-être t’acheter une belle gourde en vessie de porc, et une neuve hein ! Quitter l’armée c’est pas dans nos cordes pour l’instant, on se ferait descendre après une seconde de cavale…

- Mouais… se faire tuer par une armée ou une autre, ça revient au même. Mais t’as raison, j’attendrai d’être parti en mission pour décaniller.

- On verra bien, moi je crois que je vais juste essayer de finir la guerre en vie et rentrer chez moi…

Puis, après quelques secondes de pause. Quoi encore ? Tu tire une tête à faire peur à Mouette, ça te prends souvent de froncer du visage entier comme ça ? Seylan roula des yeux.

- Tais-toi… je veux juste rentrer voir mes parents, la lettre de Merlin me tourne dans la tête depuis des semaines.

- Tu lui fais confiance ? De ce que tu m’as raconté il avait l’air gentil mais un peu… dingue.

- Qu’il m’aie fait angoisser volontairement ou non, c’est à la déjection de bétail qui m’a volé la lettre que j’en veux. Ça me mets en rage de ne même pas savoir comment ils vont alors que j’avais enfin des nouvelles d’eux.

 

Il avait reçu la permission de récupérer Stewball à la veille du grand départ. Prétextant qu’il ne possédait plus aucune affaire personnelle, il avait réussit à con-vaincre ses supérieurs qu’il serait plus efficace sur sa propre monture. La ville était en ébullition, certains étaient impatients d’aller prendre revanche sur les Ovides, d’autres vivaient ce qu’ils s’imaginaient être leur dernier repos avant leur dernier combat. Les fuyards vaguement transformés en éclaireurs d’élite, et elle était belle l’élite, furent rassemblés le soir venu dans la cour du fort.

Le Commandant Mouette, un grand gaillard, autoritaire et semblant être né pour ce rôle, avait curieusement évolué dans l’estime des hommes qu’il dirigeait d’une main de fer. En général, si la journée avait été moins mauvaise qu’à l’accoutumée, il riait de bon coeur et avait carrément fait quelques plaisanteries de son cru aux nouveaux arrivants. Mais ce soir-là, il avait sa mine sérieuse, la moindre futilité aurait pu le faire exploser.

- Bon mes mignons ! Vous avez finis par être moins manches qu’il y a un mois, bon, pas pour tous. Demain à l’aube, les cinq-mille hommes, dont nous, partiront pour le premier point de ravitaillement situé à Arbor, au sud des Pics d’Or. Depuis là, neuf d’entre-vous partiront avec moi en quête d’exploration vers le nord. On sera à chevaux, et on aura deux semaines, c’est une longue mission mais la Reine ne prendra pas le risque de perdre une autre armée.

Ah oui ! Et au vu de la dangerosité de la mission, ceux qui reviendront vivants seront libérés de leurs fonctions et pourront rentrer chez eux. C’est pas marrant je sais, ça me chagrine, ceux qui resteront avec le gros des troupes rejoindront leurs rangs pour aller se battre au front en premières lignes. Donc, avancez quand je dis votre nom. Les maudis sont donc :

il sortit un papier de sa poche et lu à voie-haute.

- Hector Kirshart !

- Rolf Taegan !

- Ivan Zayden !

- Le Niais…

- Gottlieb Evander !

- Ben Rikk !

- Seylan Reise !

- Ulrich Albie et enfin, Abbas Kaden! Voilà, félicitations, vous mourrez sûrement avant les autres mais peut-être que vous reviendrez prendre votre retraite. Allez vous reposer, on vous réveille à l’aube. ROMPEZ !

Seylan n’en croyait pas ses oreilles, pourquoi lui ? Il n’étais de loin pas le meilleur combattant, même s’il se débrouillait très bien à cheval, il se maudit intérieurement de ne pas avoir joué les infirmes comme d’autres avaient essayé de le faire. Mais les jeux étaient faits, il partirait au moins avec un ami. Et c’est encore une fois la tête pleine de problèmes qu’il alla se coucher, comment avait-il fini là ?

 

Le réveil fut rude, le jour n’était qu’un mince fil ardent, tranchant le ciel nocturne le long des pics entourant Lousonna. Mais l’attente fut pire, l’armée eut besoin d’au moins quatre heures pour s’organiser devant la grande porte ouest de Lousonna, la troupe des éclaireurs bien évidemment était à l’avant, ils partirent ainsi au milieu de la journée sous un soleil écrasant.

- Au bruit que fait ce gros cortège, les Ovides nous auront probablement repérés d’ici une bonne heure... dit ironiquement le Niais à Seylan.

Voilà comment démarra la longue marche à travers les terres de la capitale, attirant tous les regards aussi intrigués qu’inquiets des badauds campagnards. L’armée traversa l’Honnora et piqua droit vers le nord-ouest, à travers les collines recouvertes de champs et découvertes de toute forêt, suivant la route marchande qui reliait le centre du pays à ses côtes occidentales.

Seylan était derrière Mouette, trottinant aux côtés du Niais sur le dos de Stewball. Cela au moins lui avait donné du baume au coeur, il avait récupéré son fidèle et irremplaçable ami, le chevaucher à nouveau après un mois entier était grisant, il ne cessa de lui caresser l’encolure sur toute la première moitié du trajet. Ce n’est qu’en jetant un bref regard à son autre ami souriant, qu’il se remit à cogiter fixement.

 

Ils arrivèrent à l’entrée d’Arbor au bout de deux jours de progression, le minuscule village était quasiment désert, ses habitants, pas fous, avaient quittés les lieux avant l’affluence des troupes. L’armée dressa un grand campement sur les bord des Pics d’Or et du Lac Scientis, les montagnes les plus à l’ouest des Landes, brillaient d’une lueur ambrée une fois le soir venu. Tellement hautes que la neige des sommets aussi pointus que des lances divines faisait étinceler le massif rocheux de mille feux. Même ces innombrables homme semblaient ridicules aux pieds du géant de pierre, qui leur dardait un regard impérieux.

Un quadrillage de tentes de couleurs ternes, trouées, pour la plupart en pente, s’étalait sur toute la prairie. Les centurions des généraux, en bien meilleur état et situées en surplomb du camp grouillaient de chefs et de cheffes. Sous la tente attribuée aux éclaireurs, Seylan et les huit autres recevaient leurs consignes pour le lendemain.

- Bon, commença Mouette, demain matin, une heure avant l’aube, on part tous à cheval, s’il y en a un qui nous retarde ne serait-ce que d’une minute, je le traîne au bout d’une corde jusqu’à Wallce, c’est clair ? Tous hochèrent solennellement de la tête. On suit la Scientis jusqu’à dépasser ces montagnes, il pointa sous pouce par-dessus son épaule sur les Pics d’Or, et dès qu’on peut, on traverse le fleuve, il y aura un pont sur la route, ensuite, on va direction nord vers Gradalis, c’est une ville amie avec Lousonna, on n’a pas reçu de réponse de là-bas après l’appel des troupes alliées. Après, on prendra la route pour Wallce, on devra faire un repérage de la ville, voir la situation, trouver des brèches dans leurs défenses, et enfin rentrer en vie. Faites-ça bien, et vos serez absolus à votre retour. Pas de pitié pour les fuyards, si j’en entends un qui ne fait même que le mentionner, ce sera la même sentence que pour les retardataires.

Ils partirent en même temps qu’arrivèrent les premiers rayons de soleil sur le campement. Ils chevauchaient en file indienne, poussant leurs montures à aller de l’avant, et suivant la rive sud du fleuve Scientis. Stewball, lui, ne rechignait pas d’un peu d’exercice, il semblait excité de partir à l’aventure, ce qui était loin mais alors si loin d’être le cas de Seylan.

Ils avaient reçus de nouveaux habits la veille au soir, une longue cape à capuchon beige qui sentait bon la vieille laine, peut-être avait-elle été blanche auparavant ? Ils avaient été munis de grandes bottes de cuir, de mauvaise facture, d’une large chemise dans les blanc cassé, d’une dague émoussée, d’un arc, de flèches et de vivres pour la route. Les décors des Landes défilaient devant les yeux semi-éveillés de Seylan, tout-de-même impressionné par la beauté insoupçonnée des côtes occidentales. L’océan de tarda pas à apparaître au loin, plongeant derrière les collines vertes, que parsemaient les quelques fermes solitaires qu’ils croisaient.

En regardant ses autres camarades il se fit la réflexion qu’il les connaissait presque tous mais qu’à part le Niais et Gottlieb, presque aucun d’entre-eux n’avait le profil type du soldat entraîné, Abbas était le plus vieux de la bande (sa barbe grise suffisait comme réponse à la question de son âge), pas forcément le plus vif et sûrement pas le plus fort, restait au demeurant très sympathique, il savait comment rassurer les autres.

Ben Rikk, un vrai couard, il tirait bien à l’arc et se démenait correctement sur son beau cheval couleur sable-fin, sa longue tignasse lui descendait jusque dans les reins.

Il appréciait passablement Gottlieb Evander, il avait la tête d’un chef, avec son léger embonpoint et ses épaules larges comme une porte. Il riait souvent, accompagné du Niais, ces deux provoquaient une bonne humeur générale quand ils s’y mettaient. Il n’avait jamais adressé la parole aux autres, dont il avait déjà oublié le nom, à part Rolf Taegan, depuis qu’il l’avait aperçu à la caserne environ un mois avant, il avait déjà cet air de celui qui se retient constamment de vomir, il devait vraiment regretter de s’être fait attrapé…

Ils chevauchèrent ainsi jusqu’à l’embouchure du fleuve Scientis, l’océan se vidant perpétuellement dans le canal, la quantité d’eau et sa vitesse étaient impressionnantes. Un grand pont de pierre l’enjambait, il était taillé dans la roche brute, aucune fioriture, mais il aurait pu tenir des centaines d’années avant de s’effondrer. Vers le sommet du pont, Seylan et les autres jetèrent un œil vers un horizon bleuté, de l’eau salée à perte de vue, un sentiment de nostalgie l’envahit, bien qu’il n’avait jamais vu un tel spectacle.

Continuant quelques heures vers le nord, ils s’arrêtèrent le soir approchant au bord d’une falaise plongeant dans les flots, la forêt n’était qu’à une dizaine de mètres de leur campement de fortune.

 

Et la nuit vint.

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